
Bilan de la loi ÉGALIM sur la rémunération des agriculteurs
Questions posées le lundi 3 mai 2021 dans le cadre des débats sur le bilan de la loi EGALIM et sur la rémunération des agriculteurs organisé par le groupe GDR.
Question posée à M. Philippe Chalmin, historien et économiste, essayiste, enseignant, spécialiste des marchés internationaux et des questions agricoles
Beaucoup de choses ont été évoquées, mais je voudrais poser une question spécifique à M. Chalmin – nous sommes voisins, je suis de l’Allier. Dans un secteur comme celui de la viande bovine, alors que la consommation est stable et que la production diminue, comment expliquez-vous que le prix payé aux producteurs n’augmente pas, voire diminue ? C’est ce que vous disiez tout à l’heure, monsieur Gauthier. Est-ce que d’autres confisquent les marges ? Les rapports de force sont-ils équilibrés ou rejouons-nous le pot de terre contre le pot de fer ?
Réponse de M. Philippe Chalmin
Le secteur de la viande bovine n’est pas compliqué : vous avez des éleveurs de races allaitantes qui ne couvrent pas la réalité de leurs coûts de production ; vous avez un secteur industriel – nous en avons les comptes –, dont les marges nettes sont très réduites, voire assez souvent négatives. Vous le savez, dans le secteur de la viande, les défaillances d’entreprises sont parmi les plus importantes, et ce, d’année en année.
La part des GMS – grandes et moyennes surfaces – est de plus en plus importante dans les achats de viande. Or depuis que nous suivons les comptes du rayon boucherie, sa marge nette est négative.
Finalement, l’éleveur n’est pas rémunéré, l’industriel couvre à peine ses dépenses et le distributeur perd de l’argent sur son rayon boucherie, quitte à se rattraper ailleurs, bien entendu – il perd encore plus d’argent sur son rayon poissonnerie, soit dit en passant. Le gagnant, à la fin, c’est quand même le consommateur.
Quand on reconstitue un panier de viande de bœuf – qui varie de manière saisonnière –, on constate qu’il a un peu augmenté pour le consommateur. On dit toujours que le prix de la viande, aux yeux du consommateur, c’est le prix du filet, mais il est possible de trouver du bourguignon à 5 ou 6 euros le kilo – il faut ensuite le cuisiner, il est vrai. Ce panier s’élevait à 10,90 euros en 2016, à 10,97 euros en 2017, à 11,05 euros en 2018, à 11,33 euros en 2019 et à 11,56 euros en 2020. C’est d’une extraordinaire stabilité, sachant qu’en 2020, nous avons eu le problème de la fermeture de la restauration hors foyer (RHF), ainsi qu’une valorisation de la carcasse beaucoup plus importante en viande hachée. Le prix de celle-ci est habituellement stable, s’établissant autour de 10 euros le kilo depuis une dizaine d’années. M. Gauthier a raison, il y a plutôt eu un maintien de la consommation de viande bovine, mais une moindre valorisation de la viande hachée.
Question posée à monsieur le Ministre de l’Agriculture Julien Denormandie
J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer la question des traités de libre-échange et de leurs conséquences, je n’y reviens pas. Une telle question ne peut pourtant pas être déconnectée du climat morose qui règne dans les zones d’élevage, comme vient d’en témoigner devant nous un jeune éleveur de bovins allaitants en Saône-et-Loire. Citons des prix insuffisamment rémunérateurs, pour des productions souvent de qualité ; des campagnes agressives pour remettre en cause la consommation de viande ; des campagnes non moins agressives concernant le bien-être animal, jetant l’opprobre sur toute une profession ; des perspectives de réforme de la PAC laissant planer le doute sur une diminution des aides au secteur agricole, donnant l’impression que les bons élèves seront punis.
Or, ces bons élèves perçoivent un salaire de misère : 700 euros par mois pour des semaines de travail de plus de 60 heures. Pourtant, ce type d’agriculture permet la diversité de nos paysages, le maintien d’une biodiversité riche, avec un pourcentage élevé de prairies naturelles, des terres non labourables. Que deviendront ces zones dites défavorisées, si l’élevage est remis en cause.
Je pense à mon département de l’Allier, où s’étend le bocage bourbonnais et ses prairies verdoyantes, où paissent les animaux, car, monsieur le ministre, on y voit, encore des bêtes dans les prés. Que deviendront ces territoires si les jeunes ne s’y installent plus, faute de perspective, ou si des jeunes installés quittent le métier ? Les décisions que vous prendrez dessineront les territoires de demain.
Votre responsabilité est grande. Les agriculteurs vous ont bien accueilli lors de votre nomination ; ils vous ont fait confiance et moi aussi. Depuis, le doute s’est à nouveau installé. Ne les décevez pas et dites-nous comment vous allez utiliser la réforme de la PAC pour répondre à cet appel urgent.
Réponse de monsieur le ministre Julien Denormandie
Ma responsabilité est grande, s’agissant notamment de la politique agricole commune. Au-delà de cette question, nous devons relever le défi de l’installation et de la rémunération, qui revêt trois dimensions, en premier lieu celle relative à la loi ÉGALIM. En effet, si la PAC vise à soutenir la rémunération des agriculteurs, aucun d’entre eux ne souhaite vivre de subventions. Ils veulent vivre de la vente de leurs produits, grâce à un juste prix.
Deuxièmement, le rôle de la filière est essentiel. Je travaille avec elle et cela est parfois compliqué, mais je ne lâcherai rien sur ce point, car la création de valeur se fait au niveau d’une filière, nous le savons tous. Je précise que la filière va de l’amont à l’aval, jusqu’à la distribution : l’éleveur n’est pas le seul en jeu.
J’ai évoqué la question de la qualité dans mon précédent propos : un objectif de 40 % de viande label Rouge avait été fixé pour 2022, or nous en étions à 3 % en 2017, tout comme actuellement. Je ne jette la pierre à personne, car toute la structuration de la filière est concernée, jusqu’à la distribution et au consommateur, mais il s’agit d’une question majeure.
Troisième point : la PAC.