
Commission des Finances – Présentation de ma proposition de loi en faveur de la contribution des hauts revenus et des hauts patrimoines à l’effort de solidarité nationale
Intervention du mercredi 10 juin en commission des finances
Selon les mots d’Alexis de Tocqueville, sous l’Ancien Régime, « l’impôt avait pour objet non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre ».
Paradoxalement, cette remarque conserve sa pertinence en 2020. Depuis de trop nombreuses années, l’impôt perd en progressivité. La création de la contribution sociale généralisée, la multiplication des dépenses fiscales et le poids croissant des prélèvements indirects altèrent les idéaux de justice fiscale que nos prédécesseurs ont érigé en haut de notre hiérarchie des normes.
En préparant l’examen de cette proposition de loi, j’ai interrogé des économistes et des organisations indépendantes afin d’identifier les conséquences de cette situation inéquitable que beaucoup dénoncent, et qui affaiblit de jour en jour le consentement à l’impôt.
Le constat est le suivant : après plusieurs décennies de réduction des écarts de niveaux de vie, la France connaît depuis le début des années 2000 une progression lente et douloureuse des inégalités. En dépit de notre système redistributif, parmi les plus perfectionnés du monde, les 1 % des foyers les plus fortunés concentrent près d’un quart du patrimoine privé des ménages. Depuis 2018, la pauvreté monétaire progresse à nouveau à un rythme inquiétant, pour toucher 14,5 % de la population.
J’ai pu observer dans le cadre de mes travaux que l’accroissement de ces inégalités était inexorable si nous demeurions dans l’inaction. Comme le démontre désormais le Fonds monétaire international, les écarts de niveau de vie ne se résorberont pas spontanément sous l’effet de la croissance. Bien au contraire. Ils mineront notre tissu économique, et participeront à la dégradation des conditions d’existence du plus grand nombre, au profit de quelques-uns.
Le combat contre les inégalités n’est pas nouveau. Il s’inscrit néanmoins dans un contexte bien particulier, celui de la crise sanitaire que nous connaissons, et de la récession économique qui s’annonce.
Alors que les fragilités d’une grande partie de la population ont été mises en lumière depuis trois mois, la puissance publique se révèle plus que jamais déterminante pour assurer la cohésion nationale, et répondre aux besoins de celles et ceux qui seront entraînés dans la précarité. Or, avec un déficit de près de 11,4 % du PIB en 2020, selon les dernières prévisions, et une dette publique s’élevant à 120 % du PIB, je crains que le Gouvernement ne choisisse de privilégier la rigueur à un renforcement des moyens des collectivités publiques.
Nous ne parviendrons pas à répondre aux nombreux défis qui se dressent devant nous en désarmant l’État. Par conséquent, une juste contribution doit être demandée à nos concitoyens les plus fortunés. Cet effort, loin de relever d’une logique punitive ou revancharde, se justifie par un principe de solidarité nationale.
L’article premier de la proposition de loi prévoit de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune, dans la forme qui était la sienne avant sa suppression à la fin de l’année 2017. Cette mesure est motivée par deux arguments majeurs.
Premièrement, la suppression de l’ISF s’est fondée sur des présupposés erronés. Le Gouvernement souhaitait à l’époque inciter les particuliers à mobiliser leur épargne pour réaliser des investissements dit « productifs ». Ces éléments de langage cèdent devant les faits. Le capital immobilier ne recouvre pas une épargne improductive, dans la mesure où le logement et la construction sont des secteurs économiques importants dans notre pays. Par ailleurs, le capital mobilier n’est pas une épargne par essence productive. Mes chers collègues, estimez-vous qu’un particulier plaçant son épargne dans un bon du Trésor américain investit dans l’économie réelle ? Les premiers travaux d’évaluation démontrent de surcroît qu’en 2018 seuls 29 % des contribuables ont consacré une partie du gain fiscal retiré de la suppression de l’ISF à l’investissement dans les entreprises ». A contrario, 41 % d’entre eux indiquent avoir utilisé les sommes auparavant consacrées à l’acquittement de l’ISF afin d’alimenter leur « épargne classique ».
Par ailleurs, la suppression de l’ISF permettrait de lutter contre l’exil des foyers les plus fortunés. Pourtant, les départs ne concernaient que 0,2 % des assujettis à l’ISF chaque année. C’est regrettable, mais c’est peu. Je considère de surcroît que nous devons nous détourner de cette course au moins disant fiscal dont personne ne sort grandi.
Deuxième argument fondant ma volonté de rétablir l’ISF, sa suppression a participé à l’accroissement des inégalités. Du fait de la création de l’impôt sur le fortune immobilière, l’indice de Gini a progressé de 0,6 % en France. 340 000 personnes, en grande majorité placées dans le dernier vingtile de niveau de vie, se sont partagés un gain de 3,4 milliards d’euros. Il convient donc de revenir sur cette réforme qui fut injuste, et couteuse pour les finances publiques.
Je précise que, dans un contexte d’urgence, je propose un rétablissement simple de l’ISF, qui ne purge pas ce dernier de tous ses défauts, au premier rang desquels son assiette fortement réduite. Cette question devra être abordée lorsque les temps seront plus propices à des réformes d’ampleur.
L’article 2 de la proposition de loi porte sur la suppression du prélèvement forfaitaire unique. Les vices de ce dispositif sont similaires à ceux qui affectent l’ISF.
Dans un premier temps, l’efficacité économique du PFU demeure non établie. La réforme de 2018 reposait sur le présupposé qu’une réduction de la fiscalité sur les dividendes diminuerait le coût du capital supporté par les entreprises. Cette hypothèse n’a pas de fondement, car une hausse de l’imposition des dividendes incite les entreprises à allouer leurs bénéfices à l’augmentation de leur capacité d’autofinancement. L’Institut des politiques publiques indique ainsi que la réforme du PFU est peu susceptible de conduire à une hausse de l’investissement privé.
Cette réforme a également conduit à une hausse des inégalités. Les 5 % des ménages les plus aisés ont capté l’essentiel des gains de la mise en place du PFU.
Enfin, j’aimerais souligner que le coût de la réforme est encore largement sous-estimé. Conjugué à la baisse du taux d’impôt sur les sociétés, le PFU génère une distorsion économique majeure, dans la mesure où les taux marginaux d’imposition des revenus du capital et des revenus salariaux connaîtront un écart inédit de 13,4 points lorsque les bénéfices seront imposés à 25 %. Cette différence incitera les dirigeants d’entreprise à percevoir leurs revenus sous forme de dividendes. Gabriel Zucman estime donc qu’une fois la montée en charge de la réforme de l’IS achevée, le coût du PFU pour les finances publiques s’élèvera à 10 milliards d’euros par an.
Enfin, l’article 3 de la proposition de loi prévoit d’augmenter les taux applicables à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, pour les porter respectivement à 8 et 10 %. Ce prélèvement, en vigueur depuis 2012, a été créé pour mettre à contribution les plus fortunés dans un contexte de redressement des finances publiques. Il apparaît que le l’urgence du moment nous invite à mobiliser de nouveau cet outil.
L’ensemble des dispositions de cette proposition de loi permettrait de générer un surplus de recettes fiscales de l’ordre de 6 milliards d’euros.
Vous l’aurez donc compris, je n’entends pas vous soumettre une solution se suffisant à elle-même face à la crise que nous connaissons. Modestement, je propose des mesures qui constituent néanmoins une première étape salutaire pour restaurer la justice fiscale qui semble désormais nous faire défaut. Plus largement, je souhaite que les dispositions de cette proposition de loi nous ouvrent la voie pour bâtir une société de demain davantage équitable, et solidaire.