
Débat sur l’application StopCovid : Contre le traçage numérique
La France est un pays riche de son histoire. Aucun dirigeant politique ne peut s’en affranchir, sous peine de voir nos concitoyens manifester un fort mécontentement, voire une hostilité contre un pouvoir qu’ils estiment en deçà de cet héritage si singulier.
En vertu de ce passé, les Françaises et les Français ont le sens de l’intérêt général chevillé au corps et je crois que le très grand respect du confinement en est le parfait exemple. Mais lorsqu’ils perçoivent que cet intérêt général est détourné pour des motifs ô combien pernicieux, alors ils s’insurgent et incarnent plus que tout autre les beaux mots de la Boetie : «?Soyez résolus de ne plus servir et vous serez libres?».
En dépit de ces faits bien connus, votre gouvernement s’apprête à recourir à une application de traçage numérique, balayant au passage deux particularités très importantes de cette histoire si chère à notre peuple. La première d’entre elles concerne l’attachement viscéral qu’est celui de nos concitoyens pour leurs libertés publiques et individuelles. Si les Françaises et les Français sont prêts à résoudre l’impossible pour parvenir à la concorde, ils ne suivront pas aveuglément des directives inutiles et dangereuses.
Inutiles, car comme l’ont rappelé certains collègues, l’usage de cette technologie vient seulement pallier les carences qui sont les nôtres en matière de lutte contre la propagation du Covid-19. Aurions-nous recours au traçage numérique si nous avions eu dès le début un nombre suffisant de tests et de masques pour couvrir les besoins du personnel soignant et de la nation??
Chacun fera ici son examen de conscience, mais nous savons pour notre part que le meilleur moyen pour un gouvernement de veiller sur sa population est d’assurer un financement à la hauteur des enjeux de santé publique. C’est ce que nous vous proposons depuis le début du quinquennat. Or depuis 3 ans, votre majorité a refusé de nous écouter et n’a eu de cesse de frapper notre système hospitalier en plein cœur, en appliquant des politiques néolibérales basées sur la seule gestion comptable, tout en espérant que l’extrême dévotion du personnel soignant suffirait à faire tenir l’édifice. Vous pourrez vous en remettre à toutes les technologies du monde, les faits sont têtus : nos concitoyens n’oublieront jamais ce que vous avez fait à leur système de santé.
Si le recours à cette application s’avère donc être un cache misère, il est aussi dangereux, car il entrouvre la porte à la surveillance de masse dans des proportions jusque-là inédites. L’expression n’est pas exagérée en pareilles circonstances tant le risque est grand de rogner sur le périmètre de libertés individuelles si durement gagnées dans le passé. Géolocalisation ou non, nous ne savons rien de ce qui pourra être fait des données récoltées sur le téléphone?; nous ne savons rien sur la sécurité du code source de l’application. Nous savons en revanche que le Bluetooth n’est pas la gentille technologie que certains de ses défenseurs tentent de nous présenter. Apple, Google et le secteur commercial l’ont compris depuis bien longtemps, en utilisant cet outil à des fins mercantiles.
Cette dangerosité est connue, bien au-delà des seuls bancs communistes. Les interrogations sont nombreuses dans cet hémicycle, et nous n’ignorons pas que la tenue de ce faux débat, qui n’a aucune portée normative, existe dans le seul but d’éviter à La République en Marche d’avoir à se déchirer en place publique. Vous n’avez pas de majorité pour le recours au traçage numérique.
Ce constat me permet d’en finir, en évoquant la deuxième particularité que votre gouvernement s’apprête à malmener. N’en déplaise aux nostalgiques, la France, notre pays, est une république une et indivisible, dont la démocratie s’organise au sein d’un régime parlementaire. À ce titre, le pouvoir exécutif, comme son nom l’indique, n’est qu’un exécutant de la souveraineté du peuple, exprimée dans cette enceinte par la voie de ses représentants. Il n’a pas de volonté propre, encore moins si cette dernière rencontre la désapprobation de la majorité des parlementaires, à l’instar de ce qui se passe ici.
Etienne Cabet estimait «?qu’en République, le pouvoir exécutif devrait être assez puissant pour être utile...?»
Montrez-vous utiles et renoncez au traçage numérique.
Discours prononcé en séance publique le mercredi 27 mai 2018