
Débat sur les allègements de la fiscalité au profit du capital et des entreprises
Questions et interventions dans le cadre d’un débat sur les allégements de la fiscalité au profit du capital et des entreprises avec Henri Sterdyniak, Fabrice Lenglart et Vincent Drezet puis avec le Gouvernement.
Mes deux questions
La première a trait au propos de M. Drezet, qui souligne l’affaiblissement du consentement à l’impôt. Cette idée mérite d’être développée : ne perd-on pas progressivement le sens de l’impôt, qui est de permettre à la société de remplir ses fonctions essentielles – santé, éducation, justice, enjeux écologiques ? Toutes les mesures récentes ne nous font-elles pas perdre le fil des véritables enjeux sociétaux auxquels nous devons répondre ? Peut-on, par exemple, mieux soigner en cotisant moins ou en payant moins d’impôts ? C’est une vraie question.
Ma deuxième interrogation a été partiellement traitée : M. Sterdyniak a souligné le caractère catastrophique du PFU et ses effets collatéraux, notamment le transfert des rémunérations des dirigeants d’entreprise vers une attribution accrue de dividendes. Disposons-nous aujourd’hui de chiffres concernant le montant de ce transfert et ses effets, en matière d’impôts mais aussi de cotisations sociales, puisqu’elles sont plus faibles sur les dividendes que sur les rémunérations ?
- Réponse de M. Fabrice Lenglart.
Sur le dernier point, j’appelle votre attention sur le fait que l’adoption du PFU a conduit à une augmentation des dividendes distribués aux ménages, ce qui a atténué, dans une proportion causale qui reste à déterminer, la baisse de la plus-value fiscale – puisque ces dividendes supplémentaires ont été taxés.
S’agissant de la redénomination des revenus par les dirigeants d’entreprises, nous ne disposons d’aucun élément. Nous avons auditionné Gabriel Zucman, qui a appelé notre attention sur ce risque – qui est d’ailleurs mentionné dans notre rapport –, mais, à ce jour, il n’existe aucune preuve, en France, d’une telle redénomination.
- Réponse de M. Vincent Drezet.
Votre première question sur le consentement à l’impôt rejoint le débat relatif au niveau des prélèvements obligatoires. Je m’étais amusé, par le passé, à tenter de décrire ce que serait une société sans impôt. Une société sans impôt, bien sûr, n’est pas une société. On peut débattre des conséquences précises d’une suppression de la fiscalité, mais elle aurait, de toute façon, un coût pour la santé et tous les secteurs actuellement financés par les prélèvements obligatoires. La gestion de ce coût serait laissée à la responsabilité de chacun, ce qui signifie que ceux qui n’en auraient pas les moyens ne seraient pas couverts.
Ce débat ressurgit aujourd’hui à l’occasion du projet de réforme des retraites mais, de manière plus générale, la question qui se pose est simple : les besoins socioéconomiques doivent-ils être pris en charge et, si oui, doivent-ils l’être de manière collective ou individuelle ? Le débat est bien celui-là : personne, en réalité, ne veut abandonner la prise en charge de la santé, des besoins environnementaux ou encore de l’éducation. Tout l’enjeu consiste donc à savoir si l’on met au pot commun pour les financer ou si l’on renvoie chacun à sa responsabilité – ce qui signifierait bien une augmentation des prélèvements obligatoires, mais uniquement des prélèvements obligatoires privés. Ces derniers seraient, pour le coup, répartis de manière très inégalitaire, et offriraient aux ménages des couvertures tout aussi inégalitaires.
C’est cette pédagogie de l’impôt qui manque – et sans doute pas seulement en France – et qui permettrait de nourrir un débat public de qualité, de mieux poser les enjeux et de redonner du sens, car la crise du consentement à l’impôt alimente la crise démocratique. Nous sommes tous, ici, concernés par cet enjeu, y compris les organisations syndicales.
Mon intervention face au gouvernement
« La politique économique d’Emmanuel Macron profite d’abord aux actifs et aux plus aisés. » Ces propos ne sont pas les miens : ils sont extraits d’un article publié hier dans Le Monde. Selon une étude de l’OFCE parue le même jour, sur les 17 milliards d’euros distribués aux ménages depuis le début du quinquennat, plus du quart, soit environ 4,5 milliards, est allé s’ajouter au revenu disponible des 5 % les plus aisés. Voilà votre politique !
J’ajouterai à cela quelques estimations chiffrées afin de mettre en évidence les services rendus à un système, et aux plus riches, et non à tous les citoyens. Sur l’ensemble du quinquennat, cela représente 16 milliards d’euros grâce à la suppression de l’ISF, 8,5 milliards grâce à la flat tax, 10,9 milliards grâce à la baisse de l’impôt sur les sociétés et, cerise sur le gâteau, 142 milliards grâce au CICE et à sa transformation en baisse des cotisations sociales patronales – et non de « charges », madame la secrétaire d’État –, sans aucune contrepartie. Je citerai également la baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu, la suppression du dernier tiers de la taxe d’habitation et la défiscalisation des heures supplémentaires.
Ce système est une véritable machine à fabriquer des pauvres, dont le niveau de vie se dégrade de 240 euros par an. On a assisté en 2019 à une distribution record de dividendes pour les entreprises du CAC40, soit 49,2 milliards d’euros. Le remplacement de l’ISF par l’IFI, l’impôt sur la fortune immobilière, a profité, sans surprise, aux plus aisés, et la flat tax aux 15 % les plus riches, avec un impact considérable pour les 5 % les plus fortunés qui bénéficient, eux, d’un gain annuel moyen de 2 905 euros.
Et les autres ? Qu’en est-il du reste des Français ? Ils ont subi des économies sur leur système de santé et sur les APL – aides personnalisées au logement –, leurs prestations sociales sont désindexées, leurs retraites rabotées et on supprime des postes de fonctionnaires d’État. Oui, 260 000 emplois ont été créés l’an dernier mais le CDD reste très majoritaire. D’autre part, ce chiffre est lié à l’explosion de l’autoentrepreneuriat, un statut instable puisque les deux-tiers de ces professionnels abandonnent leur activité au bout de trois ans. Dès lors, quelles sont les conséquences économiques et sociales positives de tous ces allégements ? Les Français attendent toujours.